Le Souffle des Ancêtres (Chronique romancée du peuple boïen entre mythe et mémoire)
Chapitre 6 — Le cercle des cendres
La lumière froide de l’aube glisse sur le tertre funéraire, où une foule silencieuse attend. Alaunia, drapée de lin blanc, s’avance au centre d’un cercle tracé à la cendre d’olivier. Devant elle, une urne cinéraire en terre rouge repose sur un coussin de fougères. La surface est décorée de chevrons profonds, symboles de la protection, soigneusement gravés avant cuisson.
— Approche, Eiran, murmure-t-elle à son apprenti, qui porte un plateau de bronze poli. Sur le plateau, trois fibules : l’une à arc recourbé orné de spirales, l’autre à ressort simple, la dernière incrustée de perles de verre bleu.
— Dépose-les autour de l’urne. Elles guideront l’âme d’Eborix vers l’autre monde.
Le jeune garçon s’exécute. Le cliquetis du métal résonne dans le silence. Alaunia prend alors un petit vase de bronze importé de Pannonie. Elle y verse du miel et de la farine, puis incline l’objet pour que le liquide s’écoule en un mince filet sur les cendres.
— Offrande aux esprits de la Terre-Mère, annonce-t-elle, d’une voix grave.
Autour du tertre, les femmes font tournoyer des rameaux d’aubépine, leurs pétales tombant comme des flocons. Les tambours murmurent un rythme lent, tandis qu’Alaunia lève les bras vers le ciel encore rose :
— Par le souffle du feu et la mémoire du peuple, qu’Eborix marche parmi nos ancêtres.
Un souffle de vent emporte la dernière fumée d’encens, tissant un lien entre les pierres, les vivants et les morts.
Quand le rite s’achève, Eiran place un bracelet de verre bleu — œuvre de Taranis — dans l’anse de l’urne. L’ouvrage translucide brille d’un éclat intérieur que seul le feu aurait pu créer. Ce bijou, silencieux témoin, incarne une croyance : même éteint, chaque cœur boïen reste une étoile dans la nuit.
Chapitre 7 — Ce que murmure la Terre
Deux millénaires ont glissé comme des brumes sur les collines, et pourtant… la mémoire enfouie parle encore. Chaque éclat de verre, chaque pierre sculptée, murmure l’éternité des Boïens.
Le soleil filtrait doucement à travers la canopée, projetant des rayons dorés sur le flanc nord de l’oppidum.
— Klára , regarde ça : stratigraphie nette, niveau -1,40 mètre », murmura Viktor Sedlák en nettoyant une urne cinéraire couverte de gravures en chevrons. Il la souleva délicatement pour dévoiler, niché dans la cendre, un bracelet de verre bleu indemne.
— Incroyable, souffla Klára Novak. « Ce bleu correspond exactement au procédé de soufflage attesté à Němčice. Elle sortit son carnet de terrain.
— Datation par carbone 14 : vers 100 av. J.-C., apogée de Závist. Ils échangèrent un regard : chaque objet résonnait d’un écho millénaire.
Viktor fouilla plus loin et mit au jour trois fibules en bronze, dont une modèle à arc recourbé, puis un fragment de tête sculptée en grès.
— Ce pourrait être un morceau du visage de Mšecké Žehrovice, glissa-t-il, la voix tremblante. Découverte en 1943, cette tête est l’un des plus précieux témoins artistiques des Boïens.
Ils s’assirent côte à côte, entourés des artefacts ressuscités par leurs gestes.
— Nous fouillons la même terre qu’Alaunia et Taranis, murmura Klára.
— Ces guerriers, ces prêtres… les Boïens, peuple celte de Bohême, vivaient là où la Vltava et l’Elbe façonnent le paysage .
Dans le silence, alors que le vent caressait les touffes d’herbe sur les remparts, tous deux comprirent qu’ils n’étaient pas seulement des lecteurs de l’histoire. Ils en étaient les passeurs. Et, à travers chaque fragment de verre, chaque fibule, chaque visage de pierre, la voix du passé reprenait vie, fragile et éclatante, sous leurs mains.
Il aura fallu plus de deux millénaires pour que le souffle des Boïens traverse à nouveau le silence des siècles. Grâce aux fouilles patientes, chaque éclat, chaque fibre du passé révèle une culture raffinée, entre guerre, rituels et artisanat — mémoire enfouie dans les méandres de la Vltava et de l’histoire européenne.
Antoine le 13, 14 Juillet 2025
FIN du cycle : Dans l’ombre des pierres sacrées
Note complémentaire :
Alaunia : Prêtresse boïenne, dépositaire des rites ancestraux. Son nom évoque une divinité ou une figure sacrée liée à l’eau ou aux rivières dans la tradition celtique. Elle incarne la voix du peuple et la mémoire des anciens.
Fibules : Petites broches métalliques servant à fixer les vêtements, mais aussi objets de parure et de symbolisme. Leurs formes variées (spirales, arcs, incrustations) reflètent le rang, l’identité ou les croyances du défunt.
Eborix : Nom du défunt honoré dans ce chapitre. Il s’agit probablement d’un personnage important du clan, dont le nom évoque la noblesse ou la force (le préfixe “Ebo-” pouvant être lié à des racines celtiques signifiant “sanglier” ou “héritage”).
Taranis : Dieu du ciel et du tonnerre dans la mythologie celtique. Le bracelet de verre bleu, œuvre de Taranis, symbolise la lumière née du feu et la persistance de l’âme.
Pannonie : Région historique d’Europe centrale (actuelle Hongrie et alentours), connue pour ses échanges commerciaux avec les peuples celtes. Le vase de bronze importé de Pannonie témoigne de ces liens.
Boïens : Peuple celte établi en Europe centrale, notamment en Bohême. Leur culture est marquée par des rites funéraires complexes et une forte symbolique liée aux astres, au feu et à la mémoire.
Klára Novak et Viktor Sedlák sont des personnages fictifs, mais leurs noms évoquent des archéologues d’Europe centrale, où la recherche sur les Celtes est particulièrement active.
La stratigraphie est une méthode fondamentale en archéologie : elle consiste à étudier les couches de terrain superposées (strates) pour comprendre la chronologie des occupations humaines. Plus une couche est profonde, plus elle est ancienne.
Le terme oppidum désigne une ville fortifiée celte, souvent située sur une hauteur stratégique.
La tête de Mšecké Žehrovice est une sculpture emblématique de l’art celte, découverte en Bohême en 1943. Elle représente un visage stylisé et est considérée comme un chef-d’œuvre de l’époque préromaine.

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