Le Souffle des Ancêtres (Chronique romancée du peuple boïen entre mythe et mémoire)
Chapitre 3 — Le visage de Brannos
La lumière du matin filtrait à travers les fentes du bois, dessinant des alignements de poussière autour de la pierre dressée dans la cella du temple 1) . Alaunia s’agenouilla devant la sculpture, un visage de grès finement taillé, haut d’à peine vingt-cinq centimètres. Les lèvres closes, le regard fier, Brannos semblait l’observer, éternel gardien de la mémoire des siens.
Un jeune gardien, Eiran, glissa une lampe à huile sur le socle.
— Prêtresse, le sculpteur Arconus dit que le grès vient de la carrière de Tépla, à plusieurs lieues d’ici. Il a mis des semaines à tracer ces traits.
Elle posa la main sur la pierre, là où la joue se faisait douce sous le burin.
— Dis-lui que je suis honorée de son offrande. Demain nous porterons cette tête en procession, pour qu’elle bénisse les champs.
Eiran inclina la tête. La cérémonie du printemps approchait : un ancien rite où l’on invoquait la fertilité de la terre et la protection des guerriers.
Alaunia se releva, inspira le parfum de résine brûlée.
— Demain, lorsque les prêtres souffleront dans les cornes de cerf, que Brannos écoute. Qu’il guide nos pas et fortifie nos remparts.
Elle se détourna, prit le bracelet qu’elle gardait depuis le solstice. Elle y confia en silence un serment ancien, transmis de prêtresse en prêtresse, pour que les dieux reconnaissent leur lignage. Elle le glissa un instant à son poignet gauche, là où le pouls bat plus près de l’âme, puis le retira doucement pour le déposer sur le socle de Brannos. Lorsqu’elle le posa là, un frisson sembla remonter des pierres du temple — léger, mais chargé d’échos anciens, comme si le serment avait éveillé la mémoire du sanctuaire lui-même. Le visage resta immobile, figé dans un silence que même le temps n’avait pas su altérer. Pourtant, dans l’esprit d’Alaunia, il vibrait d’une présence.
— Que ce cercle porte notre feu, notre serment. Que Taranis y lie sa main.
Le bracelet en bronze n’était pas une simple offrande. Forgé dans les feux rituels de Kernunos, il avait été façonné par Taranis, maître du tonnerre, dont le souffle battait les enclumes de l’ancien monde. Les motifs stellaires qui dansaient à sa surface n’étaient pas que décor : ils représentaient les douze constellations gardiennes, chacune liée à une vertu sacrée — courage, mémoire, fécondité, parole, silence, et plus encore.
On disait que le bracelet contenait une pierre d’éclat céleste, tombée du ciel lors d’un orage d’été. C’était Alaunia qui l’avait trouvée, dans un champ fendu par la foudre. Par la suite, la pierre fut sertie dans le bronze du bracelet, scellée comme un fragment des cieux. Depuis, elle affirmait que le chant du feu s’y était logé, qu’il brûlait doucement chaque nuit quand les vents tournaient vers le nord.
Dès l’aube suivante, la procession serpenta entre les remparts : femmes tressées de genêts, guerriers à l’épée ciselée, enfants brandissant des rameaux. Au cœur du cortège, l’imposante effigie de Brannos, coiffée de cornes évoquant le dieu corniforme, symbolisait la force brute et le passage entre les mondes. Autour d’elle, des offrandes étaient disposées avec soin, comme pour sceller un pacte silencieux entre les vivants et les puissances invisibles. La tête de pierre, portée sur un dais de branchages, évoquait tantôt un ancêtre vénéré, tantôt un dieu tutélaire. Et quand le grès effleura la terre des sillons, plus d’un laboureur jura qu’il entendit, dans les échos lointains, le murmure d’un homme qui n’était plus.
Le soir, quand le vent se lève sur les collines de Bohême, Taranis sort de son atelier et regarde le ciel. Il croit entendre le dieu dont il porte le nom, rouler sa roue solaire entre les nuages. Il ne craint pas l’orage. Il le comprend.
Antoine le 10 Juillet 2025
1) Dans l’architecture religieuse antique, la cella désigne la pièce centrale et généralement fermée d’un temple. C’est là, dans ce sanctuaire silencieux, que résidait la divinité sous forme de statue ou d’objet sacré. L’accès à cet espace était strictement réservé aux prêtres, gardiens des rites et du mystère. Le public, lui, restait à l’extérieur, entre colonnades et parvis. De forme rectangulaire dans la tradition classique, la cella pouvait parfois s'arrondir, comme dans le temple de Vesta à Rome, évoquant la roue du temps et le cycle perpétuel de la vie.
Dans les temples hindous, l’équivalent de la cella est appelé garbha griha, qui signifie littéralement “chambre du ventre” — un espace tout aussi sacré et central.
2) La tête de Brannos aurait été sculptée vers 150 av. J.-C., selon la tradition du grès corniforme.
Note complémentaire :
Brannos : Nom hypothétique inspiré de la culture celtique, peut évoquer un dieu tutélaire ou un ancêtre divinisé. Dans certaines interprétations modernes, il est vu comme une figure protectrice associée à la mémoire clanique.
Taranis : Dieu celte du ciel et du tonnerre. Souvent représenté avec une roue solaire, il symbolise à la fois la puissance céleste et le lien entre serment et cycle cosmique. Ses attributs incluent le feu, l’éclair et le marteau.
Bracelet de bronze : Objet typique de l’époque protohistorique, souvent lié aux rites funéraires ou votifs. Les motifs stellaires peuvent évoquer des systèmes symboliques cosmologiques, utilisés dans l’ornement et la transmission spirituelle.
Corne de cerf : Instrument de cérémonie dans plusieurs traditions indo-européennes. Utilisée pour appeler les forces naturelles ou marquer le début des rituels saisonniers.

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