La Patrie des Cendres - Récit d’un massacre oublié (Première partie)

 La Patrie des Cendres est le chant funèbre d’un territoire ravagé, d’une mémoire qu’on voudrait effacer. Entre les ruines d’un monde consumé et les murmures des survivants, ce récit explore la violence, la perte, et l’obsession de reconstruire sur des cendres encore chaudes.

Que reste-t-il d’une patrie quand il ne reste plus que la douleur ?

Cette histoire est une marche dans les décombres — lucide, brûlante, nécessaire.


Bannock - Source Wikipédia


Le murmure avant le feu — Le souffle suspendu entre deux mondes

Le silence avant la charge n’était pas un silence. C’était un souffle lourd et suspendu, comme la fumée d’un feu qui refuse de s’éteindre. Dans nos ventres, la peur battait plus fort que nos cœurs, cognant jusqu’aux tempes. On attendait. L’ordre viendrait.

Le capitaine Johnson n’était pas vraiment un soldat. C’était plutôt un homme de foi, mais une foi déformée, tordue par la peur et le pouvoir. Il parlait souvent de "purification", comme s’il menait une croisade. Quand il lisait ses versets, ses doigts caressaient doucement le bord jauni des pages, comme ceux d’un père consolant son enfant. Mais dans ses yeux, il n’y avait rien d’autre qu’un trou béant. Avant chaque attaque, il levait les yeux vers le ciel, persuadé que Dieu lui dictait ses ordres.

Il ne criait jamais. Sa voix était calme, presque douce, ce qui rendait ses commandements encore plus glaçants. Il croyait en la mission divine de l’Homme blanc, en la supériorité morale de sa civilisation. Mais derrière ses prières, il y avait un homme brisé. Un homme qui avait perdu sa famille dans une attaque indienne, disait-on. Depuis, il ne cherchait pas la paix. Il cherchait la vengeance, déguisée en justice.

Ses gestes étaient précis, méthodiques. Il ne touchait jamais les cadavres. Il ne regardait jamais les enfants. Comme s’il refusait de voir l’innocence qu’il détruisait.

On nous promettait des étoiles d’or et d’argent pour accomplir le boulot. Enfants d’une nouvelle patrie, juste et équitable. Mais nous n’étions rien d’autre que des pions. Des gamins à peine formés, jetés dans la gueule du loup.

Nous étions quelques-uns à n’avoir que dix-sept ans. Nos "compagnons", d’anciens repris de justice, brûlaient d’impatience. Moi, j’avais peur. Une peur viscérale. Elle s’insinuait dans mes mains, dans mes jambes, jusqu’à m’empêcher de les sentir. Je tremblais devant le vide qui séparait la vie de la mort. Je ne pus manger mon dernier repas. Mourir le ventre plein… est-ce si important ? Je bus une gorgée d’alcool — elle me brûla la gorge, le ventre, l’âme. On nous reparlait de notre "mission divine". Il fallait se débarrasser de ces sauvages. Nous étions du bon côté, eux avaient pactisé avec le diable. Les récits souvent inventés coulaient comme du poison dans nos oreilles, distillant une peur prête à se transformer en rage.

Dans ces derniers souvenirs, je repensais à mes parents, à ma sœur. Ils me manquaient terriblement. Que faisaient-ils ? Dormaient-ils paisiblement, loin de l’horreur ? J’aurais tout donné pour sentir une dernière fois l’odeur du pain chaud de ma mère, la voix chantonnante de ma sœur, la main calleuse de mon père sur mon épaule. J’aurais tant aimé être à leurs côtés, leur parler à en perdre le souffle. J’étais seul.

« Vous allez vivre l’enfer. Nous donnons naissance au paradis. »

La charge venait d’être sonnée.


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La charge — Déchaînement

La charge fut lancée comme un cri dans la nuit. Un cri qui ne portait ni justice ni gloire, mais seulement la peur et la haine. Les sabots des chevaux martelaient la terre comme des tambours de guerre, soulevant une poussière âcre qui se collait à nos visages. Le sol vibrait sous nos pieds, et l’air se chargeait de poussière et de sang.

Je courais, baïonnette au poing, sans savoir où poser mes yeux. Le sol me heurtait à chaque pas, lourd et irrégulier. Mes mains glissaient sur le bois du fusil poisseux de sueur. Des silhouettes surgissaient des tipis, des ombres effrayées, des corps sans défense. Des enfants hurlaient, agrippés aux jupes de leurs mères. Des vieillards tombaient sans même comprendre pourquoi.

Les premiers coups de feu claquèrent comme des éclairs dans une tempête. Mais ce n’était pas une bataille. C’était une boucherie.

Les chevaux, affolés, piétinaient les vivants et les morts. Certains soldats tiraient à l’aveugle, d’autres riaient, ivres de violence. Et moi, je tirais aussi. Je ne savais plus contre qui. Le chaos était tel que nos balles traversaient nos propres rangs.

« La nuit est noire… je la broie à pleines dents. Canines aiguisées, tranchantes, prêtes au carnage. »

Un tipi s’embrasa. Les flammes léchaient le ciel, rougeoyant comme une plaie ouverte. Des cris, des hurlements, des appels à l’aide. Mais personne n’aidait. Personne n’écoutait.

Je vis un enfant courir, pieds nus, les yeux écarquillés. Il trébucha sur un corps, se releva, et disparut dans la fumée. Je ne sais pas s’il a survécu.

« La nuit est froide. Je ramène sur moi la couverture de l’effroi. »

Je tombai à genoux. Le sol était couvert de sang, de cendres, de fragments de vie. Je vomis. Je pleurais. Je priais un Dieu qui ne répondait pas.

« Enterrés dans un coin de ma mémoire, les restes d’une vie pourrissent. »

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A suivre...

Antoine, le 30 Janvier 2009

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