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| Amérindiens Tehuelches en 1832- Source Wikipédia | 
Le mensonge de l’Homme blanc
J’errais dans le camp, au milieu des cadavres et des excités assoiffés de sang. Ils s’en donnaient à cœur joie, comme des bêtes lâchées après des années de cage.
Des cris de femmes m’attirèrent dans un tipi. Deux hommes s’apprêtaient à assouvir leur pire instinct. Peu leur importait l’âge de leurs victimes. Mon fusil monta, tremblant. Dans mes oreilles, mon sang battait comme un tambour. Mon tir, imprécis, toucha l’une des indiennes. Je finis par abattre les deux salauds. Mes "frères" d’armes. À cet instant, je savais que je venais de tuer plus que deux hommes : je venais de tuer ce qui restait de moi.
« Cette nuit coule un ruisseau teinté de rouge. Le silence m’enveloppe et m’étouffe. »
Les tuniques bleues remportèrent la victoire. Contre un ennemi sans défense. Au petit matin, les hommes de la tribu rentrèrent de la chasse, après plusieurs lunes. Le chef resta digne dans sa douleur. Contrairement aux hommes qui pleuraient leurs femmes, leurs enfants, leurs anciens. Il y eut très peu de survivants de l’attaque commanditée par le capitaine Johnson.
Et moi ? Le témoignage des femmes me sauva in extremis d’une mort certaine.
Je faisais dorénavant partie des leurs. Prisonnier et à la fois libre. Les femmes m’avaient vu. Elles avaient vu mon geste, mon tir, mon hésitation. Elles avaient vu que j'étais diffèrent des autres soldats.
Le chef me regarda longtemps, sans dire un mot. Ses yeux étaient comme deux pierres sombres. Puis il hocha la tête. Et je fus accepté.
Les premiers jours furent silencieux. Le vent transportait la fumée encore tiède des tipis brûlés. Je ne comprenais pas leur langue, mais je comprenais leur douleur. Chaque regard portait le poids d’un deuil. Chaque geste était une mémoire.
On m’offrit une compagne. Elle s’appelait Nahima.
Nahima ne parlait pas beaucoup. Ses mots étaient rares, mais ses silences étaient pleins. Elle avait vu mourir ses parents, ses sœurs, ses voisins. Elle portait le deuil comme une seconde peau.
Quand elle m’a été offerte, elle ne m’a pas regardé. Elle m’a observé de loin, comme on jauge une bête blessée. Puis, un jour, elle m’a tendu un morceau de viande séchée. Ce fut notre premier échange.
Elle ne souriait jamais. Mais ses gestes étaient doux, précis, empreints de dignité. Elle m’a appris à lire les traces dans la neige, à reconnaître les plantes médicinales, à écouter les histoires des anciens. Un matin, elle m’a parlé. Je n’ai pas compris ses mots, mais son regard m’a dit : "Tu n’es plus un étranger".
Avec le temps, elle m’a raconté ses rêves. Des rêves où les tipis se relevaient, où les enfants dansaient autour du feu, où les chants couvraient les cris. Elle rêvait d’un monde qui n’existait plus, mais qu’elle portait en elle.
Nous eûmes deux fils. Des enfants nés d’un monde brisé, mais porteurs d’un espoir fragile.
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Les enfants — Héritiers d’un monde brisé
Nos deux fils grandirent entre deux mondes. Ils avaient mes yeux, mais le regard de Nahima. Un regard profond, ancien, chargé de mémoire.
Le premier, Tohan, était silencieux. Il passait des heures à écouter les anciens, à graver des symboles sur des pierres. Il ne parlait que lorsqu’il avait quelque chose à dire. Il disait que les arbres lui parlaient, que les esprits le guidaient.
Le second, Elan, était feu. Il courait, criait, défiait les adultes. Il voulait se battre, reconstruire, venger. Il ne comprenait pas pourquoi les siens devaient se cacher, pourquoi les Hommes blancs avaient tout pris.
Ils étaient les fils d’un traître et d’une survivante. Mais dans leurs veines coulait une vérité que ni l’un ni l’autre ne pouvait effacer.
Les batailles suivantes décimèrent le reste de mes "frères". On se retrouva parqués dans des réserves, à manger de la viande avariée. On nous traitait comme du bétail. Même pire.
Nous étions une tribu agonisante. L’Homme blanc nous avait volé nos terres, nos croyances. Il nous avait une fois de plus trahis.
La tribu sera bientôt décimée par les maladies et la malnutrition. Certains devenaient fous. D’autres rêvaient de guerres qu’ils ne feront jamais.
« Les nuits je pleure. Une patrie qui m’a oublié. Une autre qu’on assassine. »
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Le dernier feu
Je suis vieux maintenant. Mes mains tremblent, mon souffle se brise sur quelques pas, mais ma mémoire est intacte. Elle ne me laisse aucun répit.
Chaque nuit, je revois les flammes. Celles des tipis brûlés, celles des regards éteints. Je revois les chevaux fous, les cris des enfants, les prières du capitaine Johnson. Je revois Nahima, silencieuse, forte, belle comme une terre qu’on n’a pas souillée. Je revois mes fils, leurs pas dans la neige, leurs rêves trop grands pour ce monde.
Je suis né soldat. Je suis mort homme.
L’Homme blanc m’a appris à tuer. La tribu m’a appris à vivre.
Je n’ai plus de patrie. Celle qui m’a vu naître m’a oublié. Celle qui m’a accueilli se meurt.
Mais je garde en moi leurs chants, leurs larmes, leurs silences. Je suis le témoin d’un mensonge. Le porteur d’une vérité que personne ne veut entendre.
Un jour, peut-être, mes fils raconteront. Peut-être que leurs enfants écouteront. Peut-être que la terre se souviendra.
Et si ce récit survit, Qu’il soit une offrande. Non pas pour les vainqueurs, Mais pour les disparus.
« Je suis le feu qui n’a pas consumé. Je suis la voix que l’histoire n’a pas tuée. »
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Fin
Antoine, le 30 Janvier 2009
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