Chapitre VI – L’île aux murmures
Guidés par les coordonnées du parchemin et ses annotations codées, nous mîmes le cap sur l’île de la Tortue. Jadis, c’était un véritable fief de la piraterie : boucaniers et flibustiers français s’y étaient installés dès le XVIIᵉ siècle, défiant les Espagnols puis les autorités européennes. Aujourd’hui, la végétation a repris ses droits, enfouissant les restes de bastions et de postes d’observation jadis bâtis à la hâte.
À l’approche des falaises de calcaire, nous repérâmes, dans une anse presque invisible, une cale sablonneuse — un ancien mouillage de fortune, encore marqué par des vestiges de bois et de coquillages brisés, témoins d’un passé indompté.
Dans ce décor authentique, Eléna nous mena vers les ruines du fort de la Roche, érigé par les Français pour défendre l’île. Au cœur d’une salle écroulée, Charlotte découvrit une inscription gravée : un cercle incomplet, semblable à celui du mystérieux parchemin, et un nom effacé. En frottant la pierre, un mot apparut — « Amaniréna », le nom d’une reine guerrière de Nubie connue pour sa résistance, figure d’inspiration pour de nombreuses femmes rebelles à travers les âges.
Sana resta interdite :
— Ce nom inscrit ici, au milieu de ce repaire pirate, affirme que la mémoire des femmes résistantes circulait bien parmi ces équipages, en écho à leur propre lutte contre l’ordre établi.
Dans une niche, bien dissimulée derrière la pierre effondrée, se trouvait un coffret protégé à la cire. Il contenait un fragment de carte, des témoignages manuscrits du XVIIIᵉ siècle mêlant français de flibustiers et codes d’époque, ainsi qu’un médaillon frappé d’une étoile à huit branches.
Eléna sourit :
— Plusieurs légendes rapportent que les femmes pirates, souvent invisibles des récits officiels, se reconnaissaient à certains symboles secrets — l’étoile pourrait représenter ces “gardiennes”, dispersées à travers les mers.
La carte s’enrichissait d’un nouvel indice : une route menant vers Madagascar, célèbre repaire de flibustiers, dont les récits authentiques évoquent la tolérance envers les femmes pirates et les utopies comme Libertalia, la « république des pirates ».
Le navire longea bientôt les côtes de Nosy Boraha, nommée Sainte-Marie par les colons, véritable terre de refuge pour pirates aux XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles. Là, dans un village bucolique, ils rencontrèrent Mialy, descendante de navigateurs malgaches. Elle leur confia un journal en cuir, rédigé en vieux français mêlé de mots malgaches, mémoire familiale d’un ancêtre marin, Andrianony.
Ce journal racontait un culte des ancêtres mêlé aux légendes pirates : il parlait d’un sanctuaire “où la roche chante sous les pas”, abritant d’antiques serments de confrérie.
Guidés par Mialy jusqu’à une falaise de basalte, l’équipage découvrit une grotte troglodytique, légendaire sur l’île, servant de cache à maints pirates et de lieu de rites secrets : un cercle gravé, des signes laissés par des générations successives, et une énigme qui évoquait la fidélité à la mémoire.
Dans une cache, ils trouvèrent une clef d’obsidienne, minéral volcanique courant à Madagascar, utilisée dans certains rituels malgaches et crainte par les colons superstitieux pour son aspect et sa solidité.
Chapitre VII — La Clef et le Serment
La clef en obsidienne était transmise lors de cérémonies d’initiation — un fait répertorié dans certains témoignages de sociétés secrètes maritimes et confréries pirates locales, nourries de syncrétisme africain, européen et malgache.
Le journal d’Andrianony évoquait un sanctuaire dans l’Ankaratra, hautes terres volcaniques connues pour avoir abrité des cultes syncrétiques et de vieux repaires de voyageurs. Là, les pirates auraient théâtralisé des serments, scellés dans un temple de pierre et gardés par une confrérie oubliée.
Quand la clef fut utilisée dans une anfractuosité du sanctuaire, un compartiment secret révéla :
– un artefact cérémoniel en cuivre,
– une carte partielle recouverte de codes,
– et la preuve d’une alliance entre pirates, navigateurs autochtones et voyageurs métissés, fragment de cette mémoire dispersée sur l’océan. 
L’accueil du gardien — dernier dépositaire du serment — ne relève pas d’un simple rituel. Il s’inscrit dans une tradition vivante, propre aux sociétés maritimes, où le secret, l’appartenance et la parole transmise de bouche à oreille façonnaient les liens de l’équipage et le protégeaient des regards extérieurs.
Sa voix grave résonne dans l’obscurité :
« Si tu franchis ce seuil, tu ne seras plus jamais le même. Mais si tu recules, le cercle se refermera à jamais.. »
Pour nombre de pirates, découvrir un secret ou prendre part à un serment engageait toute une vie, marquant l’équipage de fidélité pour toujours.
A suivre...
Antoine, le 20 Septembre 2025

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