Chapitre XI – Les silences d’après la tempête
Le vent s’était calmé, laissant place à un ressac lent et monotone. Sur le pont, les ombres s’allongeaient, emportant avec elles le fracas et la fureur de la bataille. Mais au cœur de ce calme apparent, un autre combat se menait — celui des esprits marqués par la violence, la perte et l’incertitude.
Anne Bonny s’était isolée, son regard perdu dans l’immensité mouvante de la mer. Sous son masque de feu et d’audace, je sentais palpiter une blessure plus profonde, un voile d’épuisement mêlé de nostalgie. « Parfois, » murmura-t-elle quand je l’approchai, « je me demande si cette liberté-là vaut tous ces sacrifices. »
Mary Read, à ses côtés, offrait un contrepoids tranquille. Elle posa une main ferme sur l’épaule d’Anne, comme pour lui transmettre une force silencieuse. « La liberté ne s’achète pas sans cicatrices, Anne. Mais c’est dans ces cicatrices que réside notre vérité, notre résistance. »
Charlotte, en retrait, semblait lutter contre une angoisse sourde. Sa voix tremblait quand elle confia : « J’ai vu des amis tomber, des vies emportées par la mer ou par la peur. Chaque victoire a un goût amer. »
Dans ce groupe, je percevais les contradictions — entre volonté de fer et fragilité humaine, entre espoirs tenaces et la conscience cruelle de la réalité. Et pourtant, malgré les doutes, un lien invisible les maintenait soudées, une fidélité fragile, mais inébranlable.
J’observai ces femmes — guerrières, gardiennes, mères et filles de la mer — qui portaient, dans leur âme, la mémoire secrète d’une reine oubliée, d’un passé éclaté mais vivant. Leur combat ne s’arrêtait pas aux embruns ou aux affres de la bataille : il se déroulait aussi dans leurs cœurs, dans leurs choix, dans leur endurance silencieuse.
Ce moment de répit était aussi un point de bascule, une invitation à creuser plus loin dans les mystères qu’elles portaient, et dans ceux que je devais, à mon tour, comprendre et transmettre.
La mer, fidèle confidente, semblait murmurer à l’infini que ces fragments d’humanité résisteraient, quoi qu’il advienne.
Chapitre XII – Confidences au clair de lune
La nuit enveloppait le navire d’un voile apaisant, et seuls quelques murmures brisaient le silence. Sur le pont déserté, je surpris Anne Bonny appuyée contre la balustrade, le regard perdu dans les étoffes sombres du ciel.
Je m’approchai doucement. « Tu ne dors pas ? » demandai-je.
Elle tourna vers moi un sourire las, empreint d’une douceur inattendue. « Comment dormir quand le cœur est encore au combat ? Chaque bruit me ramène là-bas, chaque ombre évoque la lutte. »
Mary Read arriva alors, silencieuse, et d’une voix sans détour me dit : “Le repos, c’est pour ceux qui n’ont rien à défendre. Nous, on veille car le combat n’est jamais loin surtout le calme cache les tempêtes à venir. »
Anne soupira, puis confia à voix basse : « Parfois, je rêve d’un monde où la mer serait notre seule maîtresse. Un monde sans chaînes, sans lois absurdes. »
Mary ajouta, les yeux brillants : « C’est ça, notre force. Sans ces rêves, nous serions déjà perdues. Mais c’est aussi notre fardeau. Le poids de porter des espoirs qui dépassent nos vies. »
Charlotte les rejoignit, s’asseyant près de nous. Elle posa sa tête contre le bois froid, comme pour se soutenir elle-même. « Je n’ai jamais cru au destin, mais là, à vos côtés, je sens que notre histoire est plus grande que nous. Notre récit défie le temps et l’oubli. »
Un silence s’installa, chargé d’une complicité douce et fragile. Dans ce moment suspendu, je compris combien ces femmes, au-delà des légendes, étaient avant tout des âmes courageuses, fragiles, humaines, liées par une fidélité indéfectible autant qu’une solitude partagée.
Et tandis que les étoiles veillaient silencieusement, je me sentis honoré de marcher, pour un temps, à leurs côtés — témoin et dépositaire d’une histoire à la fois ancienne et vivante.
A suivre...
Antoine, le 21 Septembre 2025

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