A la lisière des mondes : Le serment des flibustières (Chapitre 5 )

Le parchemin

Chapitre V – Le parchemin 

Quelques jours plus tard, alors que notre navire fendait les vagues sous un ciel chargé, un cri retentit depuis le pont inférieur. 

Près du grand mât, enfouie sous des cordages humides et des sacs de sel, une vieille caisse en bois venait d’être mise au jour. Elle portait encore les traces estompées d’un sceau royal – sans doute celui de la Couronne d’Espagne, supposa Charlotte.

Avec précaution, elle força le loquet rouillé. À l’intérieur, enveloppé dans un tissu de chanvre, reposait un parchemin ancien. Les bords étaient abîmés par l’humidité, mais le centre du document était encore lisible : il s’agissait d’une carte maritime tracée à la main, ornée de symboles cryptés et d’annotations en espagnol, entrecoupées de quelques mots en français et d’étranges signes dont la signification nous échappait.

« Ce genre de carte », murmura Sana, « sont des itinéraires secrets, codés pour que les trésors restent hors d’atteinte des espions et des autorités. »

L’équipage se rassembla autour de la grande table. Sous la lumière vacillante d’une lanterne, la carte déployée attira tous les regards. Bientôt, les hypothèses fusèrent : certains parlaient de galions espagnols engloutis au large des Antilles, d’autres évoquaient les abris clandestins des flibustiers dans les criques de la mer des Caraïbes.

Soudain, une femme, Eléna, s’avança hors de l’ombre. Son manteau de marin usé, son visage buriné par le sel et le vent, racontaient toute une vie de mer.

Elle prit la parole d’une voix grave : 

« Ce parchemin… je crois le reconnaître. Il pourrait provenir de l’ensemble de cartes transmises à l’équipage de la Santa Maria del Mar, un navire disparu en 1724 près de la Guadeloupe. »

Son regard perçant balaya la table.

« Cette carte indiquerait des lieux où furent dissimulés des objets précieux, mais aussi ce que l’on appelait ‘les récits de la mémoire’ : témoignages, promesses, trésors écrits ou gravés, perdus entre les mains de femmes qui refusaient l’oubli. »

Chacun contenait son souffle ; sous la lumière, les lignes tracées à la main dessinaient des routes mystérieuses. Charlotte montra une série de courbes :

« Ces tracés ne correspondent à aucune route officielle. On dirait des chemins vers des îles oubliées, des criques secrètes, ou peut-être des lieux engloutis. »

En me penchant sur un coin de la carte, j’aperçus un fragment de texte dans une écriture très ancienne : des signes qui évoquaient des alphabets antiques, peut-être inspirés de symboles venus de Méditerranée ou d’Afrique, mais impossibles à déchiffrer sans expertise.

Sana, spécialiste des langues et mythologies du littoral, murmura :

« Ce passage ressemble à une invocation, un appel à une divinité féminine marine. On sait qu’il existait dans certains équipages une vénération pour des figures maternelles ou protectrices, surtout là où les femmes, clandestines ou rebelles, trouvaient refuge. »

Mais ce fut une phrase à demi effacée qui nous bouleversa :

« Que la reine traverse encore les océans, portée par la fidélité des oubliés. »

Un frisson parcourut l’équipage. Cette phrase semblait résumer tout le sens de notre quête : cette « reine oubliée » ne se limitait pas à la figure légendaire d’une époque enfouie – elle incarnaient toutes celles qui, de génération en génération, avaient préservé la mémoire face à l’oubli.

La carte s’interrompait abruptement, rongée par le temps ou arrachée autrefois, ne laissant qu’un fragment d’une vérité éparse à rechercher.

Eléna, silencieuse jusqu’alors, posa une main ferme sur mon épaule :

« Ce que tu tiens, ce n’est qu’un début. À mesure que nous avancerons, d’autres indices viendront s’assembler. Et alors, la mémoire pourra renaître. »

Le souffle du vent dans les voiles et le cri des goélands accompagnaient notre silence partagé. Ce n’était plus seulement un voyage : c’était une quête, et il n’y aurait pas de retour en arrière.


A suivre...

Antoine, le 19 Septembre 2025

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