A la lisière des mondes : Le serment des flibustières (Chapitre 8 et 9)


Chapitre VIII – L’île sans nom

Au petit matin, alors que le navire achevait ses préparatifs pour quitter la baie, une silhouette se détacha sur le pont : Rakotoarivelo, le maître de port et ancien cartographe de Nosy Boraha, venait de monter à bord. Sa réputation le précédait : homme sage, gardien taciturne des secrets de l’île, il avait consacré sa vie à la mémoire des pirates et au repérage des courants cachés.

Sans un mot, il tendit à la capitaine le fragment de carte qu’il avait conservé des années durant, animant soudain la tension du groupe. Ce vestige, marqué par le feu et le sel, semblait doté d’une vie propre. Les tracés mouvants, l’inscription discrète — “Là où les étoiles se taisent, la mémoire se réveille.” Aucune latitude, aucun repère. Un simple tracé sinueux, fil invisible tiré vers l’est, là où la mer échappe aux routes connues et les compas se taisent. 

Le navire quitta Nosy Boraha à l’aube. Les voiles frémissaient sous un vent au rythme étrange, trop régulier pour être honnête. L’équipage, habituellement bavard, gardait le silence : chacun pressentait que la traversée n’avait rien d’ordinaire.

Sur la table de navigation, le disque de cuivre du sanctuaire tournait subtilement, pointant une direction inconnue.

Mialy, immobile sur le pont, déclara :

— Cette île n’a pas de nom, du moins plus aucun. Elle a été effacée des cartes, mais elle existe. Et elle attend.

Après plusieurs jours en mer, le ciel s’opacifia. Les étoiles disparurent sans nuage. Le vent devint lourd, le silence compact.

Soudain, au matin, se découpa sur l’horizon une masse sombre : une île ceinte de récifs acérés, battue par les vagues.

Le navire s’ancrant dans une crique étroite, les marins foulèrent un sable gris métallique, vibrant sous leurs pas. La falaise noire, béante, s’ouvrait sur un escalier taillé de main humaine, menant vers les profondeurs de l’île.

Dans la salle souterraine, les murs exhibaient des symboles plus anciens que tous ceux connus, gravés sur des couches de roche. Un autel de pierre trônait au centre, couvert d’un tissu noir.

La capitaine détacha la toile — révélant un cercle parfait, gravé dans une plaque d’or terni.

À l’intérieur, une inscription :

“Ceux qui se souviennent ne meurent jamais.”

Mialy posa la main sur la pierre. Le cercle s’illumina, projetant sur les murs des images en cascade : visages de femmes oubliées, fragments de récits, serments et chants perdus dans les tempêtes. La mémoire vivante s’imposait, révélée à celles et ceux qui avaient osé chercher l’île sans nom.


Chapitre IX – Origines de la Confrérie des Veilleurs

La confrérie des Veilleurs ne fut jamais fondée officiellement. Elle naquit dans les interstices de l’Histoire, là où les bibliothèques brûlèrent et les savoirs interdits durent fuir.

Au XIIᵉ siècle, dans les ruines d’Alamut, des survivants des Assassins cachèrent des manuscrits, des cartes codées, et un cercle d’or gravé de symboles inconnus.

Ils devinrent les Veilleurs, passeurs de mémoire, garants du savoir menacé par le silence des empires.

Leurs archives ne furent jamais localisées : dispersées dans les cryptes d’abbayes oubliées, les souterrains de bibliothèques ou les temples maritimes isolés, chaque fragment gardé par un « gardien silencieux ».

Le Codex de l’Exil, manuscrit crypté, les cartes mouvantes révélant des routes effacées, et le Chant des Ombres, partition codant les secrets du sanctuaire, formaient le cœur de leur héritage.

La confrérie ne recrutait pas : elle reconnaissait ses héritiers grâce à une marque invisible, un motif rare transmis par le sang, permettant à certains de percevoir ce que le monde voulait oublier.

On disait que cette lignée provenait des Akaré, peuple disparu de l’île sans nom, effacé pour que leur savoir ne devienne jamais une arme.

Quand l’ordre du monde voulut tout cartographier, les Veilleurs scellèrent leurs archives, effacèrent leur propre mémoire, pour laisser une énigme aux générations futures.

L’île — et son dernier gardien — restèrent, prêts à accueillir ceux qui viendraient se souvenir.


Prologue — Ceux qui se souviennent

Ils avaient brûlé les cartes, scellé les archives, effacé les noms.

Mais l’île demeurait vivante dans les rêves et la mémoire de ceux qui portaient le serment.


A suivre...

Antoine, le 20 Septembre 2025

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