Chapitre X – Combat et survie
L’aube se leva sur une mer qui semblait, pour un instant, suspendue dans un calme trompeur. Mais le silence était celui de la veille d’une tempête. Sur le pont, les regards se firent plus durs, les gestes plus précis. Le canon du navire grogna, chargé d’un feu prêt à exploser.
« Matelots, armez les canons ! » hurla Anne Bonny, la voix tranchante comme une lame. « La marine royale ne nous laissera pas filer cette fois. Préparez-vous à lutter pour chaque brin de liberté ! »
Le vent portait un parfum âcre de poudre et de sel, tandis que l’horizon s’agitait d’ombres hurlantes : des vaisseaux de guerre, lourds et menaçants, s’approchaient, dévoilant leur pavillon au lion rouge, symbole implacable d’un empire impérial.
Les premières salves déchirèrent l’air, s’écrasant sur le bois du navire avec un fracas de tempête. Le pont se fit chaos : cris d’ordres, hurlements de douleur, cliquetis des armes, et le bruit sourd des boulets fracassant les mâts.
Mary Read, sabre au clair, fendait la mêlée avec une furie maîtrisée, guidant les pirates femmes dans un ballet de survie sauvage. « Ne laissez rien passer ! » criait-elle, le souffle court mais l’œil vif.
Au cœur de la bataille, je sentais la tension brutale entre un monde ancien, rigide et oppresseur, incarné par la marine royale, et cette communauté insurgée, femme par femme, qui revendiquait une liberté chère, mais arrachée au prix du sang.
Le combat dura des heures, corps happés par les vagues, esprits cisaillés par la peur et la colère. 
À l’instant où un nouveau boulet frappa le flanc du navire, crachant une gerbe d’éclats, Anne se tourna vers moi, le regard incandescent. « Retiens cela : notre force n’est pas seulement dans le métal et la poudre, mais dans la fidélité que nous avons les unes pour les autres. C’est ce lien qui défie le temps et la mort. »
Le ciel s’assombrissait de nuages noirs lorsque la dernière salve partit, l’écho des canons se mua en un silence lourd, pesant, interrompu seulement par le craquement sinistre du bois fissuré et le gémissement des blessés. Le navire tanguait dangereusement, crachant des éclats de mât et de cordage, blessé mais toujours debout.
Anne Bonny, le visage couvert de suie et de sueur, harangua l’équipage d’une voix rauque, mais ferme. « Nous avons tenu bon, mais ce n’est pas fini. Il nous faut réparer, soigner les nôtres, et surtout, rester unis. 
Mary Read circulait parmi les blessés, bandant bras brisés et appliquant des compresses avec une précision apprise dans l’urgence des combats. Son regard croisa le mien, chargé d’une douleur contenue. « Chaque blessure ici est un prix que nous payons pour notre liberté, » murmura-t-elle.
Dans la cale, les murmures des pirates femmes oscillèrent entre fatigue et détermination. Le vieux timonier, un homme buriné, s’efforçait de réparer le gouvernail alors que des cordages pendentifs menaçaient de céder au moindre souffle de vent.
Je remarquai Charlotte appuyée contre le bastingage, le visage livide, les mains tremblantes. « On a perdu beaucoup, » dit-elle sans détour, « mais on n’a pas perdu l’essentiel : notre volonté. »
Un froid saisissant monta en moi en réalisant que cette bataille n’était pas seulement un affrontement militaire, mais une métaphore vivante du combat contre le système colonial, contre la tentative d’effacement de celles qui osent défier les normes.
Tandis que le navire reprenait lentement sa route, plus fragile, mais tenace, je pris conscience que ce prix du sang et de la sueur renforçait paradoxalement la mémoire dispersée que mon voyage cherchait à rassembler.
Et alors que les visages marqués de l’équipage se tournaient vers l’horizon, je saisissais que chaque étape de cette odyssée, était un acte d’amour et de fidélité que le temps ne pourrait effacer.
A suivre...
Antoine, le 21 Septembre 2025

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