Chapitre 2 : Le témoin et la bête
(Edward Jones)
Cette nuit-là, au cœur de décembre 1889, alors que la soirée touchait à sa fin, je marchai lentement à travers les ruelles sombres et sinueuses de Londres. Bien que retraité, mon instinct d’ancien policier restait vif. Mon regard, toujours aux aguets, remarquait des détails que la plupart des passants ne voyaient pas. Pourtant, cette fois, quelque chose perturbait l’atmosphère habituelle de la nuit.
Un individu — car je ne pouvais guère affirmer qu’il s’agissait vraiment d’un homme — se déplaçait nerveusement d’un recoin à l’autre. Ses mouvements étaient brusques et saccadés, comme s'ils avaient été commandés par une force invisible. Mais ce qui me frappa le plus, c’était l’aura qui l’entourait : une présence pesante, glaciale, presque surnaturelle. Mon instinct me soufflait qu’un crime était sur le point d’être commis. Mais au fond de moi, je sentais que j’allais être confronté à quelque chose qui dépassait l’entendement.
Les rares lampadaires, à la lumière vacillante, peinaient à percer l’obscurité, devenue presque palpable. L’individu, vêtu d’un noir profond, semblait absorber la lumière. On aurait dit une ombre façonnée dans la nuit elle-même. Soudain, il s’immobilisa. Une femme ivre, titubante, s’avança vers lui. Je la reconnus : une habituée des tavernes de Whitechapel. Elle riait, parlait seule, inconsciente du danger.
Tout à coup, un cri — un hurlement terrifiant qui me glaça jusqu’aux os. La femme hurla à son tour, leurs voix se mêlèrent en un écho sinistre, comme une mélodie maudite née des profondeurs de la nuit.
Sans hésiter, je me mis à courir. Vieil homme ou pas, mes jambes répondirent comme autrefois, quand je traquais les criminels de l’East End. Et je vis l’impensable : sa silhouette se déformait, ses contours ondulaient comme de la fumée hésitante. Tantôt bête, tantôt femme.
Le combat fut violent. Mes poings frappèrent, son couteau déchira ma chair. Je crus mourir mille fois dans cette danse macabre. Pourtant, une colère ancienne se réveilla en moi, une force que je croyais perdue. En lui agrippant le cou, je sentis la vie le quitter — le craquement de ses os a mis fin à son agonie… et à la mienne.
Sous la lumière vacillante du réverbère, son visage semblait échapper à toute cohérence. Parfois une femme aux traits flous, parfois une prostituée de Whitechapel ; à l’instant suivant, une veuve austère, puis une enfant aux yeux vides. Chaque reflet de la flamme transformait son apparence, comme si son identité défiait toute logique.
Épuisé, je m’effondrai, vidé. Autour de nous, le brouillard s’épaissit, engloutissant tout.
Alertées par des témoignages bouleversants, les autorités de Scotland Yard arrivèrent rapidement.
Ce qu’ils trouvèrent défiait toute logique d’une scène de crime ordinaire. Le corps supposé de Jack l’Éventreur avait disparu. Seul restait un cercle de sang séché.
Malgré des fouilles minutieuses, aucune trace de la créature ne fut retrouvée.
Certains évoquèrent délire et hallucinations, fruit de la douleur, mais moi, je savais ce que j’avais vu. Jack l’Éventreur n’était ni homme, ni femme ordinaire. Ce que j’avais affronté n’appartenait pas à notre monde. Chaque fois que le brouillard enveloppait Londres, je sentais sa présence. Tapie. À l’affût. Prête à frapper encore.
L’inspecteur Nathaniel Kerr, homme rationnel et aguerri, reçut mon récit avec scepticisme. L’idée même d’un affrontement avec le tueur légendaire et la disparition mystérieuse du cadavre lui semblait difficile à croire. Pourtant, il ne rejeta pas l’affaire et rassembla une équipe d’experts, déterminé à comprendre ce mystère.
L’affaire prit vite une dimension bien au-delà des ruelles de Whitechapel…
A suivre...
Antoine, le 9 octobre 2025

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