Mister JTR Livre 1 chapitre 4 : Le Médaillon de Whitechapel

Chapitre 4 : Le Médaillon de Whitechapel


Chapitre 4 : Le Médaillon de Whitechapel 

La nuit était tombée depuis plusieurs heures, et un brouillard épais serpentait entre les ruelles étroites et tortueuses de Whitechapel. L’inspecteur Nathaniel Kerr, accompagné de son adjoint Collins et de Madame Fairchild avançait prudemment, leurs lanternes dessinant des cercles vacillants de lumière sur les pavés  et les murs suintants.

— Ces ruelles, murmura Nathaniel Kerr, furent le théâtre des premiers crimes. Elles portent encore les cicatrices d’un passé trop lourd pour cette ville. Ce soir, nous devons comprendre ce que nous avons laissé nous échapper.

Une ombre furtive traversa leur champ de vision, mais avant qu’ils ne puissent réagir, elle se fondit dans la brume, comme une illusion. Madame Fairchild s’arrêta brusquement, attrapa la main de Nathaniel Kerr, et chuchota :

— Surtout… ne montrez pas la moindre peur aux esprits. Elle ne les attire pas, elle les déchaîne. Elle les rend féroces. Instables.

Ils s’approchèrent d’une vieille maison délabrée, dont la façade était couverte de lierre noirci. Les volets pendaient, tels des membres brisés. Une odeur de bois pourri flottait dans l’air.
  
— Là… derrière cette porte. Je sens une présence. Elle est là, tapie dans l’ombre. Elle nous observe. Elle attend.

Nathaniel Kerr poussa un peu plus la porte entrouverte qui se mit à grincer.

Collins leva sa lanterne vers l’intérieur. La maison était presque vide. Quelques meubles rongés par le temps gisaient çà et là : une chaise renversée, une commode éventrée, un miroir fendu accroché de travers. Le sol était couvert de poussière et de cendres, et chaque pas soulevait un nuage grisâtre.

Soudain, une voix rauque s’éleva dans l’obscurité :

— Vous cherchez des réponses… je vous attends... mais sachez-le : elles ne se dévoilent qu’à ceux qui ont déjà franchi le seuil de la mort.

Ils se retournèrent d’un même mouvement, mais aucune silhouette ne se dessinait. Seul le vent sifflant entre les ruelles, semblait murmurer des avertissements.

Un craquement sourd retentit au-dessus d’eux. Sur une poutre vermoulue pendait un vieux médaillon entrouvert, attaché à une corde effilochée. Il révélait une miniature d’une femme au regard figé, ses yeux semblant porter le poids d’une souffrance indicible, comme si elle avait été témoin de l’horreur elle-même.

Madame Fairchild le prit entre ses mains puis ferma les yeux, comme pour mieux percevoir ce que les autres ne pouvaient voir.

— Ce qu’elle veut, c’est que l’on comprenne la douleur ancestrale d’une âme enchaînée… une vengeance venue d’un autre temps. Elle est là... à nos côtés… elle m’entraîne... elle veut que je la suive...

Sa voix s’était faite plus grave, presque théâtrale. Elle se mit à vaciller sur ses pieds, comme prise de vertige, et posa une main sur son front.

— Je vois… une chambre… non, un couloir… des murs rouges… du sang… beaucoup de sang…

Collins lança à Nathaniel Kerr un regard chargé d’inquiétude. On y lisait le doute et ce refus presque enfantin d’admettre qu’ils s’apprêtaient à croiser l’inexplicable. Une frontière qu’aucun d’eux ne voulait franchir.

— Elle pleure… elle hurle… elle veut qu’on sache… qu’on entende… qu’on souffre comme elle a souffert…

Madame Fairchild se mit à tourner sur elle-même, les bras levés, comme en transe. Puis elle s’arrêta net, les yeux toujours clos.

— Il y avait un homme… non, une ombre… une bête… Son visage semblait dissimulé derrière un masque grotesque — ou peut-être était-ce son propre visage, ravagé, sculpté par la haine, au point de ne plus pouvoir en distinguer la nature.

Nathaniel Kerr s’approcha lentement.

— Vous voyez tout cela dans ce médaillon ?

Elle rouvrit les yeux brusquement, comme réveillée d’un rêve.

— Ce médaillon… il n’est pas qu’un objet. Il contient des fragments de mémoire, l’écho d’une douleur partagée par toutes les âmes. Pas seulement celle des femmes assassinées… mais celle de toute une ville qui a fermé les yeux. Une souffrance étouffée, refoulée, qui cherche encore à se faire entendre. 

Nathaniel Kerr s’approcha, le regard fixé sur le médaillon. Il tendit la main, hésita un instant, puis le saisit.

— Ne le gardez pas trop longtemps… il pourrait vous révéler ce que nul ne devrait contempler.

Nathaniel Kerr observa l’objet, le fit tourner lentement entre ses doigts. 

— Les gens aiment croire que les objets parlent, qu’ils cachent des secrets. Mais ce que vous décrivez… 

Il marqua une pause, le regard fixé sur le médaillon. 

— Croyez-vous vraiment que des âmes tourmentées choisiraient de se manifester à travers des bibelots poussiéreux ? Si elles veulent se faire entendre… 

Il ne termina pas sa phrase. Le silence qui suivit en disait plus long que n’importe quelle conclusion. Puis il releva les yeux vers Fairchild. 

— Et si ce médaillon ne contenait rien d’autre que nos propres peurs ?

Madame Fairchild soutint le regard de Nathaniel Kerr , un sourire énigmatique aux lèvres.

— Vous croyez que les âmes tourmentées se manifesteraient autrement ? Par des cris dans la nuit, des apparitions spectaculaires ? 

Elle secoua lentement la tête. 

— Mais peut-être avez-vous raison, inspecteur. Peut-être que tout cela n’est qu’un reflet de nos peurs. Et dans ce cas… je vous laisse le soin de l’interroger.

C'est alors qu' un hurlement déchira la nuit — celui d’une femme, saturé de rage et de désespoir — une silhouette sur le seuil sembla se tordre sous le poids de cette douleur. C’était elle. La femme du médaillon. Son spectre, prisonnier d’un souvenir trop cruel pour s’éteindre. 

Lorsque la silhouette spectrale s’effaça dans l’obscurité, un hurlement chargé de colère résonna dans les ruelles désertes. Puis, il ne demeura qu’un silence dévastateur. Mais ce silence n’apaisait rien : il laissait présager le prélude à un bouleversement plus vaste. Car depuis cette nuit, des disparitions inexpliquées commencèrent à semer la panique à travers Londres, comme si la ville elle-même sombrait sous le poids d’un mal invisible — ou sous celui, plus sournois, de ses propres frayeurs. La frontière entre réalité et cauchemar se faisait désormais plus ténue que jamais.


A suivre...

Antoine, le 10 octobre 2025

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