Note préliminaire : Les archives officielles de Scotland Yard concernant l'interrogatoire de Madame Fairchild ont été perdues dans des circonstances jamais élucidées. Aucun procès n’a eu lieu, et les charges ont été mystérieusement abandonnées. Ce document est un extrait des affaires personnelles de l’inspecteur Nathaniel Kerr, rédigé de sa propre main, peu après les événements. Un témoignage intime, fragment d’une vérité que l’histoire officielle a choisi d’oublier.
Chapitre 8 : L’interrogatoire de Madame Fairchild
Scotland Yard, salle 6 — 17 février 1890
Voici ce qui se déroula ce jour-là.
La pièce était froide, éclairée par une seule lampe à huile posée sur la table. J’étais assis, les mains croisées, le regard fixé sur la femme en face de moi. Madame Fairchild, toujours vêtue de noir, gardait une posture droite, presque noble. Son visage ne trahissait rien. Pas même la fatigue.
— Vous avez joué votre rôle à la perfection, dis-je, calmement. Trop bien… peut-être.
Elle ne répondit pas. Seul le tic-tac de l’horloge murale remplissait le silence.
— Vous saviez que La Nox n’était qu’un mythe. Vous avez guidé l’enquête, orienté les soupçons, mis en scène les illusions… Et pourtant, vous avez laissé une femme mourir.
Fairchild baissa légèrement les yeux, mais son visage resta impassible.
— Je n’ai jamais tué, inspecteur. Je n’ai fait que suivre les instructions.
— De qui ? Lord Blackwell ? Ou ceux qui tirent les ficelles dans l’ombre ?
Elle releva lentement la tête. Ses yeux étaient calmes, presque tristes, mais étrangement perçants.
— Vous croyez que le pouvoir se cache dans les couloirs du British Museum ou dans les égouts de Whitechapel. Vous vous trompez. Il est ailleurs. Toujours ailleurs.
Je me penchai légèrement, pesant chaque mot.
— Et vous… étiez complice de ce pouvoir, n’est-ce pas ?
Elle esquissa un sourire imperceptible.
— Je ne suis complice de rien. Je fais ce qui doit être fait pour maintenir l’équilibre. Même si cela implique de mentir. Même si cela implique… de sacrifier.
Un lourd silence s’installa. Puis elle murmura :
— Vous ne pouvez pas arrêter une idée, inspecteur. Vous pouvez enfermer des corps… mais les idées s’infiltrent partout. Toujours.
Je me levai, lentement, sentant le froid de la pièce m’envahir.
— Vous ne serez pas jugée. Pas cette fois. Les charges ont été effacées, les témoins réduits au silence, et les noms… balayés… comme s’ils n’avaient jamais existé.
Je m’approchai de la porte, puis me retournai une dernière fois.
— Mais moi… je n’oublierai jamais.
Fairchild sourit, presque imperceptiblement, comme si elle avait toujours su.
— C’est ce que nous espérions.
Le Dernier Acte de Nathaniel Kerr
Note préliminaire :
La lettre que vous allez lire fut rédigée par l’inspecteur Nathaniel Kerr peu après les derniers événements qui secouèrent les rues de Londres. Conscient de son contenu délicat et du danger qu’elle représentait, Nathaniel Kerr confia ce document à un proche collègue digne de confiance.
Ce dernier, comprenant l’ampleur des secrets et la menace que la divulgation de ces informations pouvait entraîner, décida de ne jamais la remettre aux autorités ni à quiconque. Déchiré entre la loyauté envers Nathaniel Kerr et la crainte des conséquences, il élabora un plan minutieux pour confier cette lettre à quelqu’un capable d’en faire un usage responsable.
Tout fut calculé avec soin : chaque geste, chaque détail, chaque étape avaient été prévus pour que le document atteigne sa destination et que son message survive à l’oubli. Ce qu’il fit, avec la certitude que son plan réussirait et atteindrait son objectif, et ce que vous découvrirez à la fin de ce chapitre, marquera la seule trace connue de ce témoignage interdit — un fragment de vérité soigneusement préservé dans l’ombre.
Bloomsbury, 5 mars 1890
Je pose ma plume, tremblante, et pourtant je dois écrire. Écrire ce que je n’ai pu dire à personne, ce que je n’ai pu crier dans les couloirs de Scotland Yard, où tout le monde semble conspirer dans le silence.
J’ai suivi des pistes, interrogé des témoins, affronté la peur elle-même, et pour quoi ? Pour me rendre compte aujourd’hui que les fils de cette tragédie étaient tirés par des mains que je connaissais. Des hommes de mon propre entourage, des collègues, des supérieurs — ceux en qui je plaçais ma confiance — ont manigancé tout cela.
Et moi, pauvre inspecteur, je n’étais qu’un pion. Complice malgré moi. Mais complice de quoi exactement ? Je le sens, dans chaque ombre, dans chaque murmure, dans chaque document disparu… quelque chose de plus vaste se trame, quelque chose que les autorités ne veulent pas que l’on sache. Et si j’osais dénoncer, je comprendrais qu’il n’y aurait pas de justice. Seulement le silence.
Je suis trahi, non seulement par ceux qui commandent, mais par ma propre naïveté. Et cette vérité, qui brûle maintenant dans mes veines, je dois la coucher sur le papier, avant qu’elle ne me consume complètement.
Je me demande parfois si tout ce sang versé n’a été qu’un jeu pour ces hommes, un théâtre macabre où chaque mort servait un dessein que je ne peux comprendre. Et moi, qui croyais protéger la justice, je n’ai été qu’un outil, un témoin impuissant des vérités qu’ils ont voulu dissimuler.
Je repense à chaque décision que j’ai prise, chaque indice que j’ai suivi, chaque suspect que j’ai interrogé… Et je sens le poids de ma complicité, même involontaire. Ai-je fermé les yeux sur des crimes que j’aurais pu empêcher ? Ai-je servi, sans le savoir, un plan plus grand que moi ? Ces questions me hantent jour et nuit.
Les hommes au pouvoir ne veulent pas que l’on sache. Ils effacent les traces, suppriment les documents, musellent les témoins. Et moi, simple inspecteur, je reste ici avec la certitude que le mal n’était jamais là où je le croyais. Tout cela n’était peut-être qu’une ombre, une façade pour masquer ce qui se tramait derrière les murs de l’autorité. Une diversion… pour permettre de faire oublier le véritable Jack l'éventreur.
Et maintenant, que faire ? Rester silencieux serait consentir. Mais parler… parler serait dangereux. Les hommes qui ont tiré les ficelles savent que je sais, et ils veillent. Pourtant, je ne peux me taire. Si cette lettre survit, si quelqu’un la lit, qu’il sache que la vérité n’est pas ce que l’on raconte. Que la peur, la mort, et les légendes ne sont que des outils entre les mains de ceux qui manipulent le pouvoir.
Je sens leur regard invisible sur moi, même ici, dans le calme de Bloomsbury. Et malgré tout, je dois continuer d’écrire, pour ne pas perdre ce qui reste de mon esprit… pour garder la trace de ce que j’ai compris trop tard.
Je termine cette lettre avec le cœur lourd et l’âme fatiguée.
Je ne peux plus lutter contre ce qui est invisible. Mais je peux au moins témoigner. Que cette lettre soit ma confession, mon avertissement, mon ultime acte de rébellion.
Car si la justice ne peut triompher ici-bas, peut-être qu’un jour quelqu’un ouvrira les rideaux de l’ombre et verra ce qui s’y cache vraiment.
Nathaniel Kerr
La Lettre scellée
C’est Edgar Mallory, journaliste indépendant et chroniqueur pour The London Gazette, qui mit la main dessus. Intrigué par la signature de Nathaniel Kerr et par le ton inhabituel du texte, il entreprit de reconstituer l’affaire, morceau par morceau, malgré les silences et les menaces qui entouraient encore le dossier.
Ce qu’il découvrit dépassait tout ce que l’on croyait savoir. Mais cette vérité — vaste, dérangeante — ne serait révélée que bien plus tard. Car certaines histoires ne meurent jamais. Elles attendent simplement que quelqu’un ose les rouvrir.
A suivre...
Antoine, le 11 octobre 2025

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