Le septième jour, je choisis de m’évader seul dans Naples. Amelia ne travaille pas aujourd’hui. Elle nous avait prévenu la veille, d’un ton léger, presque détaché. Peut-être que je finirais par oublier Amelia. Oublier son rire, ses silences, ses gestes précis. Mais ce matin, son absence résonne autrement. Comme un écho dans le creux de mes pensées.
Les autres participants avaient proposé de se retrouver, de visiter ensemble le musée de Capodimonte ou de déjeuner sur les hauteurs de Posillipo. J’ai décliné. Je n’avais pas envie de compagnie. Pas envie de conversations polies ni de sourires forcés. Ce matin, quelque chose en moi s’est refermé.
Je me suis levé tôt, comme pour fuir avant que le jour ne m’atteigne. Et c’est vers Mergellina que mes pas m’ont conduit — ce quartier baigné de lumière où Naples semble bavarder doucement avec la mer. Ici, les quais s’animent dès l’aube : les pêcheurs dénouent leurs filets avec des gestes lents, les barques multicolores oscillent entre les reflets du port, et le parfum du café se mêle à la brise salée. Les terrasses bordent la promenade, habillées de rires, de journaux froissés, et de cornetti tout juste sortis du four.
Mais moi, je reste en retrait. Je marche sans but précis, comme on erre dans une mémoire floue. En longeant la via Caracciolo, flanquée de palmiers et de majestueux immeubles Liberty, je respire l’atmosphère si singulière de Mergellina. Tout paraît ici plus doux, plus lumineux : les Napolitains viennent savourer leur espresso face au golfe, rêver devant l’horizon embrumé ou contempler, au loin, l’île de Capri posée sur la mer comme une promesse. Au printemps, la promenade devient un défilé de cyclistes, de promeneurs, de familles. Parfois, un air de mandoline s’échappe d’un bateau ou d’une fenêtre entrouverte.
Mergellina, c’est une pause dans la frénésie urbaine. Je m’attarde un instant à la petite église Santa Maria del Parto, nichée sous les arbres, où les légendes de poètes et de marins continuent de murmurer. Je m’assois sur le muret, face à la mer. Le vent me parle. Et dans ce souffle, malgré moi, une pensée revient. Elle. Amelia. Comme une vague qui revient toujours, même quand on croit l’avoir oubliée.
Je quitte ce cocon maritime. La route monte vers Chiaia, le centre, et le tumulte reprend : bâtiments élégants, vitrines raffinées, puis l’effervescence de Via Toledo, Spaccanapoli, l’âme vivante de Naples. Je traverse ces quartiers avec l’impression de passer d’un rêve paisible aux multiples visages de la ville. Chaque rue semble me parler, mais aucune ne me répond.
Plus haut, passé les marchés et les vieux palais, j’arrive aux abords de la colline de Capodimonte, devant la basilique Incoronata del Buon Consiglio. Ce n’est qu’alors, après un détour dans la fraîcheur des rampes, que j’atteins l’entrée discrète des catacombes de San Gennaro.
Sous terre, je m’enfonce dans les galeries creusées dans le tuf, au rythme des fresques effacées, des tombes sculptées, des lumières douces sur les mosaïques anciennes. Là, le silence parle : celui des premiers chrétiens, des évêques et des saints qui dorment sous la colline, gardiens invisibles d’une histoire millénaire. Le sol est frais, l’air chargé de mémoire. Et dans ce silence, une autre voix s’élève — celle que je croyais avoir perdue. Amelia. Son rire, son regard, sa présence. Elle revient, non pas comme une douleur, mais comme une lumière souterraine.
De Mergellina la lumineuse aux profondeurs secrètes de Naples, je goûte à la beauté et au mystère qui font la vérité de cette ville. Et peut-être, aussi, à celle de mon propre cœur.
A suivre...
Antoine, le 2 octobre 2025

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